Et comme je suis un Puck honnête
Les noms !
Au fond, qu’est-ce qu’un nom ? Je veux dire, à part un groupe de lettres ou de syllabes reliées pour composer un mot. Une rose qui porterait un autre nom sentirait-elle aussi bon ? L’histoire d’amour la plus fameuse serait-elle aussi poignante si elle s’intitulait Roméo et Gertrude ? Pourquoi la manière dont on se nomme est-elle si importante ?
Hé, désolé ! D’ordinaire, je ne suis pas du genre à philosopher, mais dernièrement, je me suis posé pas mal de questions, car, pour ceux de mon espèce, les noms ont une importance capitale. Pour ma part, j’en ai tellement que je n’arrive pas à tous me les rappeler. Evidemment, aucun d’eux n’est mon vrai nom. Personne n’a jamais prononcé mon véritable nom à voix haute, pas une seule fois, malgré tous les titres, surnoms et légendes que j’ai accumulés au cours des années. Personne ne s’en est approché assez près pour le deviner.
Vous êtes curieux ? Vous aimeriez bien connaître mon vrai nom ? Très bien, alors, écoutez. Jamais je n’ai dit à quiconque, auparavant, que mon nom véritable est…
Haha haha ! Vous avez cru que j’allais vous le révéler ? Vraiment ? Je vous ai bien eu ! Cependant, comme je l’ai dit plus haut, pour nous les noms sont importants. Et ce pour une raison : ils nous relient au monde. On peut dire que, dans une certaine mesure, ils nous rattachent à la réalité. Si vous connaissez votre vrai nom — et, dans notre univers, il n’est pas donné à tout le monde de le trouver — vous devenez plus réel que si vous ignorez qui vous êtes. Or, pour une race qui a une fâcheuse tendance à s’éteindre, connaître son vrai nom, c’est particulièrement crucial.
Mon nom — enfin, un parmi tant d’autres — est Robin Goodfellow.
Peut-être avez-vous entendu parler de moi.
* * *
Il était une fois… J’avais deux amis proches. Je sais, vu mon charme naturel, cela peut surprendre, mais il se trouve que d’aucuns n’apprécient pas mon éclatant charisme. Nous n’étions pas destinés à devenir amis, ni même à entretenir des rapports courtois. Je fais partie de la cour Seelie, et eux… pas. Mais comme il se trouve que je n’ai jamais été du genre à suivre aveuglément les règles… Et puis qui aurait pu se douter que le plus jeune fils de la reine Mab pouvait se montrer si rebelle ? Quant à Ariella… Je connaissais Ash depuis un bon bout de temps quand Ariella fit irruption dans le décor, mais pas une fois je n’ai désapprouvé sa présence. Elle servait de médiatrice entre nous deux, capable d’apaiser Ash quand il s’abandonnait à sa nature sauvage et Unseelie, capable aussi bien de me dispenser des conseils de prudence si un de mes projets semblait un peu trop… impulsif. Il était une fois. Nous étions inséparables.
Il était une fois. Je commis un acte stupide et perdis mes deux meilleurs amis par la même occasion.
Ce qui nous amène à… maintenant. C’est-à-dire, à aujourd’hui. Alors que mon ancien meilleur ami et moi-même nous apprêtons, une fois de plus, à nous lancer dans une nouvelle aventure. Comme au bon vieux temps.
Sauf qu’il ne m’a toujours pas pardonné ce qui s’est passé il y a des lustres, et qu’il ne m’a pas non plus invité à l’accompagner. En fait, j’ai… Je me suis légèrement imposé.
En même temps, si j’avais pris l’habitude d’attendre une invitation en bonne et due forme, je ne serais jamais allé nulle part.
— Alors, lançai-je gaiement en me plantant derrière le prince maussade. Tu crois qu’on va débusquer Grimalkin ?
— Oui.
— Une idée du lieu où il se trouve ?
— Non.
— Tu sais par où commencer ta quête ?
— Non.
— Tu te rends compte que cela ne représente pas l’amorce d’un début de plan, sire Glaçon ?
Ash se tourna vers moi pour me fusiller du regard, ce que je considérai comme un petit triomphe. Généralement, il ignorait mes taquineries. Alors, chaque fois que je pouvais percer son armure de glaciale indifférence, cela représentait une victoire. Bien sûr, quiconque s’avise de titiller le prince d’Hiver a intérêt à user de pincettes. La limite est ténue. La seconde d’avant, il est juste agacé ; la seconde d’après, il vous décoche une salve de stalactites à la figure.
Il me fixa un moment, avant de fourrager dans ses cheveux avec un profond soupir — indice flagrant de frustration — puis marmonna avec une réticence visible :
— Tu as des suggestions, Goodfellow ?
Un autre que moi n’aurait pas perçu son désarroi, mais je connaissais Ash par cœur. Il avait beau essayer de les dissimuler, je surprenais toujours chez lui ces rares et furtifs moments d’émotion. L’espace d’un instant, je sentis à quel point il était perdu, incertain de l’avenir et de ce qui nous attendait. Et j’en fus presque désolé pour lui.
Presque.
J’arborai un sourire candide.
— Quoi ? Son Altesse des Glaces serait-elle en train de me demander mon avis ? raillai-je et, aussitôt, sur son visage, le doute céda à la contrariété. Eh bien, continuai-je en m’appuyant nonchalamment à un arbre. Puisque que tu le demandes, nous pourrions vérifier si personne ne lui doit de faveur dans les parages.